C’est une interview avec Nataliya Senyuk. Cette femme développe son propre projet où elle fait des mises en scènes théâtrales (marionnettes, ventriloquisme), organise des ateliers. Son but est d’encourager les enfants à apprendre. En plus, Nataliya a sa chaîne YouTube où elle partage avec les jeunes parents ses petites astuces pour s’occuper bien de leurs enfants.

Odessa – Gatineau (Québec), le 22 décembre 2018, visioconférence via Skype

Comment décririez-vous votre projet?
Mon projet a commencé il y a pas longtemps, ça fait 2 ans. L’objectif c’était de motiver, d’encourager les enfants à l’apprentissage des choses nouvelles. Je pense que la raison d’être d’un bon éducateur, c’est d’intéresser. A partir du moment où on y réussit, l’élève commence lui-même à chercher les informations. Il faut lui donner une graine à partir de laquelle l’enfant fera pousser un arbre qui portera ses fruits.

Vous voyez le résultat de votre travail? Peut-être, les retours des parents?
Avant, il y a environ 4 ans, j’avais une école maternelle francophone pour les enfants anglophones. Avec eux je faisais du théâtre, je m'en occupais et c’est pourquoi j’ai pu voir de bons résultats. C’est là que j’ai compris comment on peut intéresser les enfant aux concepts nouveaux. Si on trouve une bonne façon d'en parler, l’enfant commence à s’y intéresser, il demande aux parents de lui procurer les informations nécessaires ou quelque chose dont il a besoin, ou même il se met à la recherche lui-même.

Qu’est-ce que vous choisissez pour montrer aux enfants, d’habitude? Vous les encouragez à la découverte de quels concepts?
Ce sont les mathématiques et autres sciences, mais surtout il s'agit du désir d’apprendre le français. Ici, au Canada, cette langue se trouve en position minoritaire. Toutes les informations sont facilement accessibles en anglais et la plupart des gens l’utilise pour communiquer, c’est comme à Odessa – tout le monde parle russe, et pour l’ukrainien, il lui est difficile de faire face à cette concurrence. Il fallait donc créer quelque chose de spécial en français pour les enfants, et cela devait être de loin meilleur que ce qui est proposé déjà en anglais.

Autrement dit, la langue française, elle est reléguée au second plan au Canada et qu'elle y existe, ça n'a pas beaucoup de sens?
On peut dire ça comme ça. Ici, elle est soutenue artificiellement. En fait, c’est l’Amérique du Nord, donc, ici tout se fait en anglais. Et les canadiens français passent peu à peu à l’anglais, car ils étaient considérés autrefois au Canada comme des gens de deuxième qualité...

Le fait que vous encouragez les enfants à ne pas oublier le français, à l'utiliser pour communiquer, quel effet cela produit sur eux?
L’effet est positif quand l'éducateur est positif.

Les enfants, qu'est-ce qu'ils aiment mieux à voir: spectacles, ventriloquisme, vidéos, ateliers?
Les enfants aiment beaucoup les spectacles, mais ils faut que ce soit dynamique. Aujourd’hui, si on fait un théâtre ordinaire où il y a deux marionnettes qui passent et parlent avec la même voix, ça ne les satisfait plus. Les enfants d'aujourd'hui, ils ont des jeux vidéo, ils peuvent aller voir un film en 3D, donc le vieux théâtre classique ne les intéresse pas trop. C’est pourquoi je fais un peu de ventriloquisme, en plus le sujet doit être prenant, toujours avec un personnage négatif qui vole quelque chose, offense quelqu’un , où quelque chose se passe etc.; et à la fin il faut qu'il y ait une sorte d’interaction: on danse, on joue. Et tout ça doit être dynamique.

Qu’est-ce que c’est que, le ventriloquisme?
C’est un mot latin qui est composé de deux parties: « venter » (ventre) et «loquor » (parler). Les gens ont l’impression que le son va du ventre, sans mouvement des lèvres, du visage.

Est-il possible qu'à l’avenir, le théâtre devienne une chose extraordinaire pour les enfants qui vivent dans un monde virtuel?
Si à l’avenir on communique surtout par visioconférences, ceci pourra être possible, ça serait bizarre de se réunir tous ensemble dans la même salle pour regarder un spectacle, mais je ne pense pas que on va en venir là. Le théâtre survivra, car l’interaction physique est tout aussi importante que la virtuelle.

Votre projet NataDity, est-il sollicitée à l'occasion des événements ou pour les anniversaires? Qui c'est qui vous appelle?
Oui-oui. Ce sont en grande partie des écoles maternelles et des écoles primaires francophones, et même il y a quelques écoles anglophones, aussi à Toronto et à Montréal où j’ai déjà travaillé avec des écoles ukrainophones. C'est très bien, quand on a des clients permanents. Mais il faut aussi développer la clientèle et ce n’est pas facile, bien sûr. Il y a beaucoup de gens qui ne me connaissent pas encore.

Qu’est-ce qui vous a poussée à lancer votre projet?
Quand j'avais moins de trente ans, je pensais que je travaillerais à une banque, que ce serait un boulot sérieux et tout ça, mais puis, quand j’avais environ quarante ans, j’ai commencé à me poser des questions: « Qu’est-ce que je veux vraiment faire dans la vie? Quel est ma raison d’être? ». A mon avis, chacun doit chercher à comprendre pourquoi il a été créé, retrouver en lui ce qu'il a du meilleur. Tout dépend de l’étape que tu es en train de passer dans ta propre évolution.

Et c’est comme ça que j’ai compris que je voulais créer des histoires. On peut les présenter sous des formes différentes: contes, nouvelles, peu importe. Dans mon cas, c'était le théâtre et le ventriloquisme. Aussi, ce qui est important pour moi, c'est que ça serve à apprendre. Ça veut dire que les enfants jouent, s’amusent et en même temps ils apprennent quelque chose. Il me faut toujours bien réfléchir comment mettre en place tout ça.

On dit que travailler avec les enfants, c’est difficile. Qu’en pensez-vous? Pour vous, c’est plus facile de travailler avec les petits ou les grands?
Bien sûr qu’avec les adultes c’est plus facile: ils ne prennent pas autant d’énergie, ils sont grands donc ils comprennent tout. Mais leur vision du monde, il est difficile de la les faire changer, elle est déjà formée. Et avec les enfants, c’est autre chose, on peut les orienter notamment à travers les contes.

Par exemple, on peut les sensibiliser à l’idée de ne rien jeter par terre. Si c'est un adulte qui a cette mauvaise habitude, il faut lui répéter plusieurs fois, avant qu'il comprenne et encore. Quant à l’enfant, sa mémoire c'est comme une éponge, et puis il en prend conscience et après il tâche de suivre les règles. Si on commence à expliquer tout ça dès le bas âge, ce qu'on peut et ce qu'on ne doit pas faire, ils en tiendront compte par la suite.

Dans la réalisation de votre projet, qu'est-ce qui était difficile avant? Est difficile aujourd'hui?
La première année, ça a été vraiment difficile. Tout le monde pensait que j’irais travailler pour le gouvernement ou pour une autre institution importante. On me posait des questions genre: « et tes études, qu'est-ce que tu vas faire avec? ». C'est-à-dire que tout le monde était contre, mais avec le temps, quand ils ont vu que j’avais des clients et que ça a marché, ils ont changé leur attitude. Parce que avant on avait tendance à considérer ce que je faisais comme si je jouais aux poupées.

Il faut aimer ce que tu fais. J’ai commencé à le faire pour les enfants parce que ça leur manquait. En plus, c’était quelque chose que j’ai pu commencer avec un petit budget. Pour lancer une affaire, on a besoin d'une somme d'argent au départ et on doit savoir vendre.

Et maintenant vos propres enfants, ils parlent ukrainien entre eux, avec vous?
Oui, ils parlent ukrainien. Nous sommes presque toujours dans un environnement francophone, donc il est difficile de le maintenir à un bon niveau, mais à la maison, lire, parler, on n’utilise que l’ukrainien. A l’exception des moments où les enfants font leurs devoirs ou quand leurs camarades de classe viennent, alors on passe au français et parfois même à l’anglais.

Avant, j'ai travaillé pour une école ukrainienne, j'ai mis beaucoup d’efforts dedans. Mon théâtre les a bien aidés, les enfants de l'école, à améliorer leur niveau de la langue ukrainienne. Car un grand nombre d’enfants ne la parlaient pas tout à fait, et moi, mon objectif c'était de les faire parler. Alors, on avait fait des mis en scène où ils apprennaient par cœur des textes, s'essayaient à les dire avant de commencer à parler un peu l'ukrainien. C'était le théâtre qui les a aidés à améliorer leur ukrainien! En plus, c’était utile pour mes propres enfants, puisque je les y emmenais.

Enseignez-vous à vos enfants d'autres langues? Par exemple, le russe.
Je ne leur enseigne pas le russe. Quand nous étions venus à Odessa, ils comprennaient peu, mais ils répétaient certains mots, «dévotchka» (fille), par exemple. C'était juste pour rire. On n’utilise pas le russe à la maison et on tâche de communiquer plutôt avec ceux qui parlent anglais ou français. Mais maintenant tout ça, ça a changé, parce que nos enfants, ils savent lire, ils comprennent déjà bien l’ukrainien. Et si quelqu’un vient chez nous et parle russe, ce n'est pas grave, puisque leur première langue avait déjà bien pris racine. Et s'ils avaient à apprendre le russe maintenant, cela ne poserait aucun problème. Mais s’ils l’avaient appris à 5 ans, par exemple, le russe aurait très facilement «pris le dessus ».

Même dans notre école ukrainienne la plupart des enfants sont des régions russophones de l’Ukraine.

Peut-être, vous vous êtes déjà posé la question, comment appréhender une langue quand on est un enfant? un adulte? A votre avis, quelle méthode est la plus efficace?
Je pense que la meilleure chose pour apprendre une langue qui convient aussi bien aux enfants qu’aux adultes, c’est par immersion dans l’environnement où on la parle. Quand on est dans un milieu francophone, par exemple, on n’a pas de choix: on est obligé d'apprendre cette langue, sinon on ne pourra pas communiquer. On est obligé parce qu'il y a besoin.

Moi, quand j'avais eu besoin de perfectionner une langue, j’empruntais des livres à la bibliothèque, je cherchais à communiquer avec quelqu’un, par exemple, en demandant quelque chose aux gens inconnus quand j'étais au magasin. Plusieurs avaient tendance de passer à l’anglais pour me répondre, et moi, je faisais semblant de ne pas comprendre l'anglais, et alors ils étaient obligés de répondre en français.

Mais pour apprendre bien une langue, pour communiquer sans problèmes, il faut aller vivre, travailler dans le pays pendant environ 5 années, faire son mieux, se mettre en quatre: venir voir quelqu’un, faire des études à l’université francophone (moi, j'avais fait les deux: francophone et anglophone), être en immersion.

Pour moi, c’est beaucoup plus facile de parler avec les francophones qu’avec les anglophones. Ceux-là sont plus ouverts.

Y-a-t-il au Canada des gens qui ne parlent que français et qui ne comprennent pas l’anglais?
Oui, quand nous avions habité dans la ville de Québec, c’était le cas.

Et maintenant, vous habitez où?
Nous habitons à Gatineau, c'est à côté de la capitale, Ottawa. Justement, ici il y a beaucoup d'anglophones et plusieurs de ceux qui sont d'ici viennent travailler à Ottawa. Dans cette région, il est impossible de ne pas comprendre l’anglais, car on en a bien besoin.

Dans quelle partie du Canada il y a le plus de francophones?
Il y a environ 6 millions de francophones dans la province de Québec. Ici ils ne sont pas tous francophones, mais les francophones sont en majorité. Mais en dehors du Québec, il y a le Canada anglais, et là presque personne ne parle français.

Si j'ai bien compris, vous aviez fait vos études dans deux universités canadiennes?
Au début j’allais dans une université anglophone, et puis, quand nous avons déménagé à Québec, là où il n’y avait pas d'université anglophone, j'ai changé pour une université francophone et c'est là que j'ai eu mon diplôme.

Quelle était votre spécialité à l'université?
C’était dans la gestion des affaires, dans les finances.

Vous êtes originaire d'Ivano-Frankivsk, c'est ça?
Oui, l'oblast [la région] d’Ivano-Frankivsk , le district Kosivskiy, le village Stary Kouty.

Pourquoi vous avez décidé d’émigrer au Canada?
C’était la fin des années 90, je travaillais comme infirmière à cette époque-là. Il n’y avait pas de salaire, ni rien. En général la vie était grise et compliquée. Et comment je suis partie? Il se fait qu'à ce moment-là un cousin de mon père vivait au Canada. Il était juge, président d'un tribunal, et il venait en Ukraine pour donner des cours à l'université. Quand il était venu la deuxième fois, il a emmené sa femme. Et c'était elle qui m’a proposée de me prendre avec eux. J’avais dit que je voudrais bien s’ils me trouvaient un travail. Et ils en ont trouvé un. Et voilà, je suis partie pour travailler comme baby-sitter dans le cadre du programme Live-in-Сaregiver. Il fallait rester travailler au Canada pendant 2 ans dans la même famille avant de pouvoir demander la nationalité canadienne. C’est comme ça que je me suis retrouvée au Saskatchewan, à Saskatoon, c'est une province canadienne.

Et votre période d’adaptation, pourriez-vous en parler s’il vous plaît. C’était difficile ou vous ne l’avez même pas remarquée?
C’était difficile à Saskatoon. Moi, j’étais habituée au fait que dans une grande ville tout le monde va quelque part, tout le monde est pressé, moi, j'y vais aussi, je vois des gens. Mais là, tout le monde se déplace en voiture. D’habitude, si quelqu'un était dans la rue, c'est pour faire du sport, du jogging. Personne ne marchait pas comme ça et c’était vraiment nouveau pour moi.

A la première occasion je me suis procuré des papiers nécessaires et je suis partie pour Montréal. Et là, c'était la vie à l'européenne. C’est une ville si joyeuse, en mouvement, un vrai contraste avec Saskatoon. Et voilà pourquoi je vis dans une province francophone, puisque la vie ici ressemble plus à notre vie en Europe.

Au début, je n'étais pas beaucoup en relation avec la communauté ukrainienne, seulement plus tard, quand j'ai rencontré mon mari, ça a changé...

Et votre mari, il est ukrainien?
Oui, il vient d'Odessa. Nous nous sommes rencontrés à Montréal. Il parlait très bien ukrainien et ça m’a beaucoup impressionné car il était d'origine d'Odessa.

Vous et votre mari, vous vous parlez ukrainien entre vous?
Oui. Mais au début quand nous nous sommes rencontrés et nous n’avions pas encore d’enfants, on parlait plusieurs langues, car on parlait un peu espagnol, on parlait français, anglais, russe et ukrainien. Notre façon de parler, c’était tout mélangé, comme de la salade. On peut dire, que nous avions notre propre langage de maison, incompréhensible pour le monde extérieur.

Puis, quand nos enfants sont nés, on s'est mis à réfléchir sur notre façon de communiquer, et on a décidé qu'il faut maintenir l'ukrainien. On a commencé par séparer les langues: quand quelqu’un venait nous voir et qu'il parlait anglais, on parlait anglais; quand c'était quelqu’un qui parlait français, on passait au français. Au début, c’était difficile mais maintenant on s'y est habitué, parce qu'on a compris que mélanger les langues, c'était pas très bien.

Vous continuez à venir en Ukraine? Avec quelle fréquence?
Bah oui, il y a une vingtaine de jours que j'en viens. On le fait à peu près tous les deux ans. L’été dernier, on est passé à Odessa.

Le pays natal, ça vous manque?
Pour moi, mon pays natal c'est la Terre. Donc, mon pays natal, c'est partout où je vais. Mais c’est clair que quitter son milieu de vie dans lequel on a l'habitude de vivre, pour aller vivre ailleurs, ça ne peut pas passer inaperçu.

Tout au début, quand je suis arrivée à Saskatoon, c’était un peu étrange. Car dans les médias du Nord on n’entendait pas un mot ni sur l'Ukraine, ni sur les pays européens, ni sur le continent européen en général. Ça me faisait un peu peur car j'avais l'impression que mon passé n’ait jamais existé.

C’était à Saskatoon et après, quand je suis allée vivre à Montréal, tout a changé. On avait des nouvelles depuis la France, car le Québec est très lié avec elle. Alors j'étais plus tranquille, puisque la France, c'est pas très loin de l'Ukraine. Et durant la Révolution Orange, les nouvelles d’Ukraine étaient très en vue.

Y-a-t-il quelque chose en Ukraine qui vous manque au Canada?
Ma famille, c’est peut-être la seule chose qui me manque.

Voudriez-vous la faire venir au Canada pour vivre avec vous?
C’est bien, avoir la famille à ses côtés, mais pas trop près quand même. S’ils vivaient dans une ville voisine, à Montréal, par exemple, pour que je puisse les voir de temps en temps, ça serait magnifique.

Toutefois, on a des visions des choses qui sont différentes puisque notre vécu est différent.

A votre avis, les ukrainiens, ont-ils des qualités?
La plupart des ukrainiens sont bienveillants, gentils et ouverts.

Un Ukranien de base et un Canadien de base, en quoi sont-ils différents?
Un Ukrainien de base, il a l'habitude de se plaindre beaucoup, on parle plus qu'on ne fait. Un Canadien de base, quand il se plaint, il le fait en plaisantant. Par exemple, quand on voit des Ukrainiens, on commence par dire où on a mal. Au Canada on ne fait pas comme ça, on dit juste qu'on a besoin d'aller voir un médecin. Personne ici ne t'écoutera, on ne s'intéresse pas aux problèmes d'autrui, parce qu'on ne veut pas montrer ses points faibles. Si tu es malade, c'est considéré plutôt comme un trait de faiblesse. Et en Ukraine, c’est tout au contraire, puisqu'on peut espérer obtenir un avantage avec.

Ici, au Canada, il ne faut pas crier, se montrer agressif parce que c’est mal accepté par les gens. Il faut parler calmement, d'une façon équilibrée. En Ukraine, c'est aux antipodes: plus tu te montres agressif, plus on te considère.

Et puis, les Canadiens sont moins ouverts, mais pas les francophones: eux, ils sont plus proches des gens de chez nous.

Et quant aux différences au niveau de la vie en société, entre l'Ukraine et le Canada?
En Ukraine tout est lié avec la famille. Par exemple, on a une famille, la mère et le père, donc on a toujours quelqu'un pour se protéger. C'est lié avec la mentalité, on vit, généralement, aux côtés de ses parents.

Au Canada cela se passe autrement: on doit gagner assez pour payer son logement; si tu n’a pas assez pour payer, personne ne t’aidera, les parents non plus. C’est pourquoi chacun compte sur lui-même. Et généralement, dès qu'il a 18 ans, l'enfant s'en va pour vivre pour son propre compte.

Comment vous faites pour vous organiser avec vos horaires, pour arriver à tout faire? Peut-être, vous connaissez des astuces?
Je fais à l’avance un plan où je note ce que je dois faire: mettre en scène un spectacle, apprendre quelque chose aux enfants. Il faut mettre du temps pour la famille, le travail, les amis etc. Tout d’abord, j’établis mes priorités pour le travail, puis je vois ce que j'ai à faire avec les enfants et je note les tâches ménagères. Et de cette façon, j'ai un planning sur trois mois à venir à peu près, et chaque soir je trouve un moment pour penser à ce que j'ai à faire le lendemain, selon mon planning.

Du temps pour vous, pour le développement personnel, vous arrivez à en trouver?
Justement, entre les clients qui auront passé une commande à réaliser vers une date, et mes enfants, mon mari, ma maison, mes amis, ce n’est pas facile, il faut chercher un équilibre pour réussir à tout faire. Et on réussit à tout faire seulement quand on travaille d'une façon systématique. Faire tout en un jour ou deux, on ne raisonne pas comme ça, car chaque jour on a des choses à faire.

Avez-vous besoin d’aide du côté de quelqu'un d'autre?
Bien sûr, on a besoin d’aide pour développer une affaire: tout seul on ne fera pas grand chose. Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, je l’ai fait toute seule, mais ce serait bien d’avoir un réseau bien organisé qui travaillerait avec moi.

Mes enfants, quand ils étaient plus petits, je ne pouvais pas les laisser seuls à la maison. Maintenant mon fils aîné a 12 ans, donc c’est devenu beaucoup plus facile.

Quels sont vos projets par rapport à vos activités théâtrales?
Mes projets d'avenir – créer des histoires qui pourraient servir dans l'apprentissage, ça a du sens pour moi. Ce sera sous une autre enseigne et cela concernera les adultes aussi. Il y a beaucoup de gens qui cherchent à donner un sens à leur vie, beaucoup de gens qui ont déjà fait leurs vies, mais on ne sait rien d'eux. Et pour moi, ce serait fascinant de créer des histoires dont les autres pourraient tirer des leçons. C’est un nouveau projet sur lequel je voudrais travailler.

Est-ce que vous pouvez dire aujourd'hui que vous vivez la vie de vos rêves?
Maintenant - Oui.

Où trouvez-vous de l’inspiration quand vous n'en avez plus? D’ailleurs, croyez-vous à l’inspiration?
C'est mon travail qui m’inspire. Quand je vois qu’il y a besoin, que ça plaît aux autres, cela m'inspire. Quand sur le Facebook je tombe sur une discussion et je vois qu'un certain problème n'est pas bien traité, que ce n'est pas bien décortiqué, analysé, quand je vois que quelqu'un a besoin d’aide pour faire le point sur une question, cela me donne des idées. De mon côté, je commence à me documenter, je réfléchis comment faire pour que mon activité puisse avoir un effet positif. Voilà comment ça marche.

Parfois ça marche par nécessité. Dans mon cas, ça peut être un accord passé avec un client ou un délai de rigueur. Dans certains cas, l'inspiration ne vient pas si on ne se force pas.

Des fois, je travaille trop et jusqu'à tard, je ne dors que 4 heures par jour: il faut inventer une histoire bien intéressante, commander des costumes dans un atelier pour que sa plaise aux enfants, mais aussi aux éducateurs, car s’ils ne n’aiment pas, ils ne m’inviteront plus. Il faut que ce soit attirant pour les enfants, que ce soit adapté à leur âge et au rythme scolaire.

Vous accordez plus d'importance aux retours des enfants ou de celui qui a passé la commande?
Tous les deux sont importants. Maintenant, quand je prépare mes spectacles, je les adapte de façon à intéresser les éducateurs eux aussi.

Ça vous arrive d'improviser?
Oui. Chacun de mes spectacles est unique. Le public enfantin n'est jamais le même.

C’est plus facile avec les enfants francophones, car ils réagissent tout de suite, ils crient, manifestent leur joie, répondent, je les sens vite réagir. Et avec les anglophones cela ne se passe pas comme ça, ils ont plus de retenue. Ce n'est pas qu'ils soient tout à fait différents, mais leur milieu leur inculque des comportements différents. Et quant je me produis devant un public comme ça, parfois j'ai mal à comprendre s’ils aiment le spectacle. C'est pour ça qu'il me faut tout le temps être en interaction avec les enfants et les éducateurs.

Lequel de vos spectacles vous croyez le plus réussi?
Tous mes derniers spectacles ont été bien accueillis, parce que j’avais compris qu’il faut tenir compte aussi des adultes. J’ai des spectacles avec des pirates, avec les trois oursons, avec un lapin qui refuse de sauter...

Pouvez-vous parler un peu plus sur un de vos spectacles?
J’ai une histoire où il y a trois oursons, le grand, le moyen et le petit. C’est un spectacle pour les 2 à 6 ans. Dès l'âge de deux ans ils comprennent déjà ce que c'est grand, moyen, petit. Dans ce spectacle il y a trois cartons et je dis aux enfants: «Mais où est le grand carton? Oh, je ne peux pas le retrouver!». Comme je suis adulte, ils pensent que ce que je dis est vrai. Et puis je déplace les cartons et les enfants se mettent à se dire: « Le grand carton, ça doit être le premier? ». Donc, ça doit être amusant, interactif, instructif et captivant.

Vous commander un spectacle sur un sujet précis, cela vous arrive aussi?
Oui, je travaille presque toujours comme ça. Je suis toujours ouverte aux demandes des clients, pourtant il arrive souvent qu'ils sont occupés, qu'ils n’ont pas le temps, alors ils m’appellent au dernier moment, et moi, j’invente quelque chose. C’est un travail difficile, mais il me donne la possibilité de m'exprimer à travers mes créations artistiques.

Je suis quelqu'un qui n'est pas un bon interlocuteur, mais quand je donne un spectacle, tout le monde me prête l'oreille. On dirait que je ne dépense pas toute mon énergie pour en avoir pour le spectacle.

Où on peut voir vos spectacles?
On ne peut pas les voir en entier, parce qu'il s'agit des droits d'auteur, donc il n'y que certains épisodes. Il y a le site www.natadity.com, là on peut trouver des informations sur mes spectacles, sur ma page Facebook je poste des fragments. Pourtant il y a l'intérêt de voir ça directement. Quel intérêt si je met en ligne un spectacle en entier, si de toute façon personne ne le regardera dès le début jusqu’à la fin?

Aussi vous avez une chaîne sur YouTube, vous l'avez créée dans quel but?
J’ai commencé à faire des vidéos pour les parents, mais je n’ai pas encore bien développé ça pour l’instant. Je n’ai pas encore décidé si c’est un bon format pour faire ce que je veux faire, donc je suis en train de le tester.

Les erreurs que font des parents, mes propres erreurs, de mauvais approches à l'éducation des enfants, j'utilise tout ça pour expliquer après sur YouTube comment faire pour que ce soit bien, et ce qui est à éviter. Tout ça avec l’idée d'aider les adultes à faire l'éducation de leurs petits. Mais, pour que ça marche bien, toutes les semaines il faut mettre en ligne une vidéo, expliquer qui je suis etc.

Quand j’avais encore mon école maternelle, je donnais souvent des conseils aux parents sur plusieurs choses: comment on peut aider l’enfant, comment le rassurer etc. Ce n’est pas facile pour eux, en particulier quand c'est leur premier. Ils ne savent pas encore que faire dans telle ou telle situation, ils ont peur, ils ne savent pas à qui s'adresser. On est parents une seule fois dans la vie et on a vraiment besoin d’aide.

Quel est le plus grand problème que les parents ont à affronter et qu’est-ce que vous leur conseillez?
Les jeunes parents veulent toujours donner le meilleur à leur enfant. Parfois ils en font même trop. Car l'enfant se développe, cherche des réponses par lui-même. Les parents doivent l’orienter vers les bonnes réponses, c’est tout.

La télé est un grand ennemi de l’enfant. Les parents disent: « Mais ça instruit! » et la font marcher dès le matin. Cela rend l’enfant fou, stressé car son cerveau ne peut pas absorber trop d’information. Et ça, c’est un vrai problème.

Il y a aussi d’autres questions: est-ce qu'on peut frapper son enfant, le mettre au coin ou pas etc.

Si vous aviez rencontré vous-d’il-y-a-5-ans, qu’est-ce que vous auriez dit à vous?
Que tout ira bien. Je suis toujours optimiste face à l'avenir. Mais rien ne tombe du ciel, pour obtenir quelque chose on doit travailler là-dessus. Il faut se fixer un but et aller vers lui, sinon c'est difficile de s'en sortir. Avoir un but, c'est nécessaire. Où vas-tu? Pourquoi y vas-tu?

Moi, je sais que mon but est de raconter des histoires qui aideraient les gens à vivre mieux. Parfois ça aide, parfois non. Il est impossible d'aider tout le monde. Mais quand on a un but, une mission, on va son chemin plus facilement malgré les difficultés. Parfois quand on est en route vers un but, on peut s'en écarter un peu à droite ou à gauche, pour finalement retrouver une position équilibrée sur le chemin vers lui. Et si on n'avait pas osé se mettre en route, on n'aurait pas avec quoi comparer.

Qu’est-ce que vous pourriez dire à quelqu’un qui n’a pas de but mais qui veut en trouver un?
Il faut essayer tout. On doit répondre à la question: qu’est-ce que j’aime? qu’est-ce qui est important pour moi?

Parfois il arrive que quelqu’un influence ta vie par hasard, sans le faire exprès, et cela t’aide à continuer d’avancer, à trouver un meilleur chemin. Donc, pour réussir quoi que ce soit, il faut sortir, essayer quelque chose, rencontrer quelqu’un, et ainsi on trouvera la direction. Sinon, à force de rester cloué sur place, devant la télé ou sur Facebook, cela n'aidera pas, là on ne trouve pas d'échanges interactifs qui permettent de changer la situation.

Il faut savoir profiter des possibilités qui se présentent! En guise d'exemple, cela m'est arrivé il y a trois semaines dans le bus que j'ai pris pour aller de mon village à Ivano-Frankivsk. Sur le siège voisin il y avait un jeune. J’ai vu qu’il apprenait l’anglais de base sur son Iphone, « he is, she is ». Je lui ai demandé s'il apprenait l'anglais, il m'a répondu que oui. Alors moi, j'ai dit que je parlais cette langue et qu’il pouvait la pratiquer un peu avec moi, profiter du moment. Mais il a dit non. Moi, j’étais là, juste à côté, j'étais une ressource pour lui dont il aurait pu profiter. Des possibilités comme ça, pourquoi ne pas en profiter?

On tient à remercier Nataliya Senyuk pour sa participation dans notre projet.

Interview traduit par: Darya Yessaoulova