C’est une interview avec Mariia Abramova. Mariia Abramova est diplômée de l'Université nationale Illia Metchnikov d'Odessa. Elle est également interprète français-russe-ukrainien. Depuis qu'elle traduit, elle a eu l'occasion de coopérer à plusieurs reprises avec des maisons d'édition ukrainiennes. Durant ses années d’études, Mariia avait participé aux Olympiades nationales.

4 janvier 2019, communication téléphonique, Odessa - Lviv.

Intervieweuse: Bonjour, Mariia! Merci d'avoir accepté de participer à ce projet. On pourrait commencer par la traduction. Qu'est-ce que la traduction pour vous?

Mariia: Eh bien, tout d'abord, je voudrais vous remercier pour l'invitation. C'est un grand honneur pour moi de participer à cette interview. Honnêtement, je n'ai jamais donné d'interview, je suis donc un peu émue ... Jusqu'à présent, personne ne s'intéressait à ma vie, mais voici une vraie interview, merci beaucoup de m'avoir invitée.

Intervieweuse: bien, alors, qu’est-ce que la traduction représente pour vous?

Mariia: Je peux dire qu'avant toute chose, c'est mon activité préférée, c'est ce que j'aime, c'est ce que j'aime tout simplement faire dans la vie. Je n'aime pas les phrases pathétiques telles que "la traduction c'est le sens de ma vie", ou par exemple: "je veux me consacrer à la traduction, moi toute entière" ... Je n’aime pas les phrases comme ça, alors, je dis tout simplement que la traduction est un domaine dans lequel je voudrais, je rêve de réussir dans l'avenir.

Intervieweuse: Eh bien, vous aimez ce métier, c'est la passion?

Mariia: Oui, j'aime tellement traduire, c'est incroyable. Je pense que sans passion pour la traduction, rien ne pourra se faire et rien ne se ferait. C'est donc un élément nécessaire, cet amour extraordinaire pour cela. Et à part ça, vous savez, c'est une occasion pour faire coup double. Il y a deux choses que j'aime (à part la traduction): la langue et la littérature françaises. J'adore lire. Je lis depuis longtemps, je lis depuis que j'étais petite. C’est-à-dire que j’ai appris à lire quand j'avais quatre ans, et depuis, je vis un livre à la main, il est toujours avec moi, où que j’aille ... au magasin juste pour acheter du pain ... j'ai toujours un livre dans mon sac.

Intervieweuse: Vous pouvez donc dire que vous vivez par la lecture, non? Dès votre très jeune âge, pour vous c'est comme un mode de vie?

Mariia: Oui, oui. La lecture, j'aime ça. Il y a eu peu d'amis dans ma vie, mais il y avait beaucoup de livres. On peut dire que les livres étaient mes amis.

Intervieweuse: Bien. Et maintenant, une question plutôt professionnelle: la traduction artistique écrite, comment ça se déroule? Je veux dire, quelles sont les étapes du travail - de la recherche du livre à la publication?

Mariia: En fait, pour un traducteur débutant, il est plutôt difficile de commencer à travailler avec un livre. Pour moi ce n'a pas été facile. Si j'avais connu personnellement des éditeurs, des rédacteurs, des correcteurs, je pense que ça aurait été plus facile. Moi quand je commençais, je ne connaissais personne dans le domaine ... Bien, maintenant j'en connais un peu, mais quand cela a commencé il y a trois ans, je ne connaissais absolument personne. Je n'avais aucune connaissance parmi ceux qui en faisaient, alors je devais simplement chercher des sites des maisons d'édition. C'est très simple et banal. J'ai cherché des sites. Sur les sites on peut trouver généralement une adresse électronique où vous pouvez écrire. Au XXIème siècle, tout le monde a une adresse électronique.

Intervieweuse: Oui, tout est sous forme électronique ...

Mariia: Oui, oui. Il y avait des adresses électroniques que j'ai trouvé, il y avait Facebook, car chaque personne travaillant dans une maison d'édition avait généralement une sorte de page Facebook personnelle. J'ai écrit soit par Messenger, soit par courrier électronique.

Interviewese: Et c'étaient les éditeurs qui vous disaient quel livre traduire, c'est ça?

Mariia: Oui ... eh bien, si les éditeurs répondaient, ils disaient ... Honnêtement, la réponse ne vient pas toujours. Parfois la réponse arrive, mais avec un grand retard. Il y a eu des cas où j'ai reçu une réponse trois, quatre ou cinq mois après.

Intervieweuse: Oh! Des mois!

Mariia: Plus d'un an. Oui, pendant des mois et même des années, vous pouvez attendre les réponses des éditeurs, malheureusement. Cela prend vraiment beaucoup de temps. Par conséquent, il est préférable de téléphoner.

Intervieweuse: C'est-à-dire, les contacter personnellement?

Mariia: Oui, appeler par téléphone. Mais, malheureusement, vous ne trouverez pas le numéro de téléphone sur le site ... et c'est un cercle vicieux.

Intervieweuse: C'est triste. Et puis, il existe une telle idée, quelque peu simpliste, que le traducteur doit traduire et c'est tout. Est-ce vrai? Ou peut-être il y a aussi quelque chose d'autre qui compte dans la traduction?

Mariia: Eh bien, on peut dire que la pratique des traducteurs littéraires est assez courante – c'est ce qu'on appelle traduire «dans le tiroir». C'est-à-dire que le traducteur n'a pas encore contacté l'éditeur. Il ne sait pas si ce livre sera publié. Par exemple, il s'intéresse à un auteur, aime une certaine littérature ou une œuvre.

Intervieweuse: C'est-à-dire qu'il le fait pour lui-même, n’est-ce pas?

Mariia: Oui, il traduit pour lui-même. Avant on disait "dans le tiroir", maintenant, on dirait "dans le bureau" ... Il traduit, il garde ce document, et il ne lui reste qu'espérer qu'un jour quelqu'un puisse être intéressé par cette œuvre, cette traduction. Moi, je n'aime pas vraiment cette méthode. Je dois dire que je traduis très peu "dans le tiroir", car pour traduire, pour moi il est important de savoir que ce livre verra le monde un jour.

Intervieweuse: Ah oui, qu'on a vraiment besoin de lui.

Mariia: Oui, qu'on a besoin de lui, ou qu'on en aura besoin. Et traduire comme ça, sans savoir si cela intéresserait quelqu’un. C'est très difficile pour moi. Peut-être que j'ai tort de dire cela, vous savez, car toute traduction c'est de l'expérience. C'est-à-dire que je peux acquérir de nouvelles connaissances, avoir une nouvelle expérience, mais malheureusement, ce n'est pas tout à fait pour moi. Pour moi, c'est difficile de traduire comme ça. Bien qu'il y ait des gens qui travaillent comme ça. Je sais que même parmi les traducteurs chevronnés, connus (qui ont… soixante-dix ou quatre-vingts ans), il y a ceux qui ont 20-30 livres traduits.

Intervieweuse: Dans le tiroir, c'est ça?

Mariia: Mais ils ne savent pas si ces livres seront jamais publiés ... ou peut-être après leur mort ...

Intervieweuse: Là, comme il est question des traducteurs, un bon traducteur, qu'est-ce que c'est? Comment le distinguer de celui qui n'est pas très bon?

Mariia: A l'œil, probablement c’est impossible. Si vous voyez quelqu'un, vous ne pourrez pas dire tout de suite que ça puisse être un interprète (on rit). Mais comment distinguer une bonne traduction de celle qui n'est pas très bonne – justement, ce n’est pas une question simple. Je peux dire qu'une bonne traduction n'est pas toujours une traduction facile à lire. Puisque souvent il y a un avis comme ça qui circule "c'était rapide, facile à lire, pas de mots inconnus, pas d'expressions inconnues; pas besoin de chercher dans le dictionnaire."

Intervieweuse: Pas de mots étrangers?

Mariia: Oui. Un langage très simple. Très facile à lire.

Intervieweuse: Accessible pour tout le monde, comme on dit.

Mariia: Oui, les lecteurs aiment les textes faciles, la grande majorité des lecteurs. Mais je peux dire qu’une bonne traduction, une bonne traduction n’est pas toujours une traduction facile à lire. Parce qu'une bonne traduction pour moi c’est un texte qui, le plus précisément possible, transmet le sens ... et même pas le sens, mais l’état d'âme de l’original.

Intervieweuse: Peut-être doit-ont encore transmettre l'attitude de l'auteur envers ce qu'il décrit? Vous devez vivre tout ça, vivre avec l'auteur.

Mariia: Oui. Un bon texte, il faut le ressentir, et il faut le vivre et sur le plan stylistique et sur le plan lexical. Et puis ce texte doit vous plaire tout simplement. Et ce qui est difficile, c'est de transmettre ce style d'auteur dans la langue-cible. Parfois, vous savez, il y a des auteurs qui font une phrase qui prend trois ou quatre pages. Comme chez les "géants de la littérature française", chez Victor Hugo par exemple. Chez lui il y a des phrases qui commencent, disons, page 10 et on trouve la fin page 35. Et ce qu'on aime faire chez nous, et cela me révolte vraiment beaucoup, c'est qu'on aime beaucoup simplifier les textes, les rendre beaucoup plus courts.

Intervieweuse: y tailler des parties.

Mariia: Oui. Ce sont les éditeurs qui aiment le faire en fait. Diviser la phrase en 10 ou 15 plus courtes pour que le lecteur l'assimile bien, c'est ce qu'on dit, afin de lui faciliter les choses, qu'il ne se fatigue pas trop.

Intervieweuse: On fait tout pour le public, c'est ça? Une telle traduction, c'est plutôt pour plaire aux consommateurs.

Mariia: Une telle traduction ne peut pas être qualifiée de bonne, à mon sens, car si Hugo est si difficile en version originale, alors le texte de la traduction devrait être pareil. Et si c'est un léger roman d'amour pour les femmes, alors bien sûr, cela devrait être facile. Pour moi, être bien pour une traduction c'est certainement correspondre au style qui est dans la version originale.

Intervieweuse: Eh bien, oui. Alors, c'est la correspondance de style. Et par rapport à la traduction orale et écrite. Qu'est-ce qui est plus facile, à votre avis ? Et en quoi c'est différent ? Peut-être c'est le niveau de complexité?

Mariia: Eh bien, je dois dire tout de suite qu'en tant qu'interprète je n'ai pas tellement d'expérience, en tout cas je suis plus dans la traduction écrite. Bien sûr, j'avais travaillé comme interprète. J'avais fait de l'interprétariat lorsque je travaillais à l'Alliance Française. Là, j'avais eu beaucoup à interpréter, j'étais responsable culturel. Mais, à vrai dire, l'interprétariat cela ne me convient pas tout à fait. Probablement c'est à cause de mon caractère. Je suis qqn qui est casanier, qui aime le calme. Ce qui me plaît beaucoup, c'est chercher mes mots. Je peux rester plongée dans les dictionnaires pendant des heures. C’est-à-dire que j’aime vraiment chercher quel synonyme convient mieux ici ou là par exemple.

Intervieweuse: Qui est approprié à un contexte?

Mariia: Oui, un mot qui traduit avec justesse, qui est approprié. Vous savez, il arrive parfois que je mets une heure, trois heures pour traduire une phrase. Parfois, je réfléchis sur la meilleure façon de traduire un tel mot pendant un jour ou quelques mois. C’est-à-dire que je suis comme ça: j’aime réfléchir, choisir parmi une douzaine d’options les meilleures. Et quand on interprète, l'essentiel c'est de transmettre le sens. Mais quand on interprète, il faut faire vite, on n'a pas le temps de réfléchir. Quand tu traduis oralement, tu dois dire tout de suite.

Intervieweuse: Et dans la traduction écrite qu'est-ce qui est le plus difficile pour vous, si ça se trouve? Et qu'est-ce qui est le plus important?

Mariia: Eh bien, je pense que ce qui est le plus difficile, c'est ce qui est le plus important. Pour moi c'est comme ça, en quelque sorte. Le plus difficile, je pense que presque tout le monde sera d'accord avec moi ... presque tous les traducteurs, le plus difficile c'est de commencer. Il s'agit de ces fameuses premières pages , là où il est si difficile de se mettre dans l'état d'esprit du texte. C'est-à-dire qu'il faut entrer dans ce texte, attraper cette vague. Et généralement, les premières pages sont très difficiles. Tous les traducteurs (j'ai lu plusieurs interviews, leurs commentaires), ils disent que les premières pages sont pour eux incroyablement difficiles. Et après généralement ça va de mieux en mieux ... et quelque part autour de la page 10 ... on commence à s'y faire et puis on prends une bonne allure. Je pense que le plus difficile, c'est de commencer.

Intervieweuse: Pouvez-vous donner un exemple d'une phrase difficile ou extrêmement difficile à traduire?

Mariia: Dieu merci, je n'ai pas eu de phrases extrêmement difficiles. J'aimerais bien en avoir, des phrases très compliquées, car j'aime réfléchir, j'aimerais bien travailler là-dessus.

Intervieweuse: Pour avoir une nouvelle expérience?

Mariia: Oui. Et quant aux phrases complexes, il y en a une. Il arrive qu'une phrase toute simple, toute banale, qui est, de prime abord, très facile à traduire, et il arrive que c'est là-dessus que je passe une-deux-trois minutes. Un paradoxe. Je ne sais pas pourquoi, peut-être y vois-je de l'ironie et une nuance de sens. Je ne peux pas dire qu'une phrase difficile à traduire soit nécessairement une phrase qui a l'air difficile. Et quant à ce qui est vraiment difficile dans la traduction, je peux dire que pour moi, mais aussi, à coup sûr, pour plusieurs traducteurs, ce sont les phrases où il y a un jeu de mots. Un jeu de mots qui parle à qqn qui maîtrise la langue-source, mais qui reste complètement incompris par notre lecteur ukrainien.

Intervieweuse: C'est-à-dire que les natifs, ils comprennent de quoi il s’agit?

Mariia: Oui, on peut dire que c'est au niveau phonologique que ça se joue. Par exemple, il m'est arrivé de traduire un roman, il y avait un prénom français qui en français sonne comme Aurora. Et pour un Français, cette phrase ressemble beaucoup à une autre phrase qui n’a aucun sens, mais elle existe quand même : Or aux rats.

Intervieweuse: Et qu'est-ce que cela signifie?

Mariia: Si on traduit littéralement, ça donne "or aux rats".

Intervieweuse: Oh! Dites donc!

Mariia: Et c'est une phrase qui n'a pas de sens.

Intervieweuse: Oui, si on la dit vite

Mariia: Oui, quand on la dit vite, cette phrase ressemble au prénom français Aurora. Et pour les Français c'est évident : Aurora - Or aux rats. Et pour nous, bien entendu, la phrase "or aux rats" en ukrainien n'a pas de sens et ne ressemble pas beaucoup au prénom Aurora. Voilà, et dans des cas pareils, on est obligé d'ajouter une note de traducteur, comme on dit. Et c'est à moi de commenter et décrire cette phrase, en expliquant pourquoi on ne peut pas la comprendre, pourquoi cela sonne autrement pour un Français. Et quand on est obligé d'en faire souvent, des notes comme ça, c'est ce qui est le plus difficile dans le travail.

Intervieweuse: On est amené à passer plutôt par explication. Mais justement puisqu'on parle de la traduction littéraire, qui c'est qui parmi les traducteurs littéraires les plus connus serait une référence pour vous?

Mariia: Si on parle des contemporains?

Intervieweuse: Oui, oui. Et de ceux des temps jadis, si vous voulez.

Mariia: Moi, je peux parler de ceux de chez nous, des ukrainiens. Les traductions que j'apprécie particulièrement, ce sont celles de Victor Chovkun, celles qu'il a faites du français vers l'ukrainien. Victor Chovkun, c'est qn qui avait traduit les plus célèbres des "géants" de la littérature classique française tels que Hugo, Balzac et Albert Camus ... et qui encore ... et Anatole France. Eh bien, en principe, plusieurs œuvres importantes des grands écrivains avaient été traduites par Victor Chovkoun. J'adore ces traductions qui sont d'une très haute qualité. Malheureusement, Victor Chovkoun est décédé il y a quelques mois. C'était un homme assez âgé.

Intervieweuse: Mais vous ne l'aviez pas connu personnellement?

Mariia: Malheureusement non. A vrai dire, je n'aurais pas osé. Je veux dire que même s’il vivait quelque part à proximité ... s’il vivait à Lviv quelque part ... j'ai beaucoup de respect envers les maîtres, face à de tels “géants”...

Intervieweuse: Eh bien, ce sont des hommes qui maîtrisent tout un art, qui ont une expérience très riche.

Mariia: Oui, imaginez, moi qui n'ai que trois ans d'expérience … devant Viktor Chovkoun qui a 55 ans d'expérience en traduction ...

Intervieweuse: Oh! Bien sûr.

Mariia: Aussi si on parle des grands interprètes, il faut évoquer Léonide Kononovich.

Intervieweuse: Et pour rencontrer des traducteurs, il y a des endroits particuliers?

Mariia: Oui. Il existe de différents types de rendez-vous, de soirées. Il y a l’Arsenal de Kyiv, le Forum des éditeurs à Lviv, ce sont tous des manifestations liées aux livres, où on invite les traducteurs et les éditeurs.

Intervieweuse: Et vous y assistez, à de tels événements?

Mariia: Oui. Cette année c'était la première fois que j'ai visité l'Arsenal de Kyiv. Un événement extraordinaire, d'envergure. Et dans ma ville – oui, qui est déjà mienne – ma ville de Lviv – c'est le forum des éditeurs à Lviv. Un lieu de rencontre pour ceux qui font partie du monde d'édition des livres. On y organise divers manifestations intéressantes. Et entre autres, il est possible d'y rencontrer des traducteurs connus. Il y a aussi des lecteurs. Tout le monde peut y aller. Ce n'est pas une manifestation à accès limité. Et une fois j'y ai vu Oleg Korol (Oleg Korol est aussi l'un des traducteurs que j'aime, qui est une référence pour moi. Quelqu'un qui est extrêmement cultivée dans tous les sens, qui est très doué).

Intervieweuse: Aviez-vous eu l'occasion de lui parler?

Mariia: Justement que non. Quand j'ai vu Monsieur Oleg Korol, je me suis retirée juste au moment où je me suis rendu compte qu’il pourrait me voir comme ça, me serrer la main. Il faut dire que j'ai lu presque toutes ses traductions et j'ai beaucoup d'admiration pour lui ... Je me suis enfuie et c'est comme ça que j'ai raté ma chance ...

Intervieweuse: Eh bien. Ce sera pour une autre fois. A propos de l'expérience, en fait, pour devenir un bon traducteur, quelle est la recette, pour vous personnellement ?

Mariia: Eh bien, je ne me considère pas encore comme une bonne traductrice. Je suis assez critique par rapport à moi-même. Je ne pourrai probablement jamais dire que je suis une bonne traductrice. A quatre-vingt-quinze ans peut-être, et encore.

Intervieweuse: Peut-être vous connaissez une recette formulée par un autre traducteur. Peut-être vous avez lu la biographie de quelqu'un, comment il a réussi?

Mariia: Ce que je peux faire c'est de proposer une recette comment être un bon traducteur. Pour moi, c'est, avant toute chose, ne pas arrêter de lire. Il faut lire tout le temps, lire beaucoup, lire attentivement et bien réfléchir à ce qu'on lit. Je sais qu'il y a des gens qui se fixent pour objectif de lire cent livres par an.

Intervieweuse: C'est beaucoup!

Mariia: Oui. Et j'ai compté ce que ça donne. Cela fait environ 8 livres par mois. Même pour moi qui est qn qui aime lire c'est trop. Ce n'est pas tout à fait pour moi, car pour moi la lecture passe par la réflexion. Bien que je lise vite, je lis en réfléchissant. Je prends mes notes (j’ai une espèce de bloc-notes dans mon téléphone où je note tout le temps tous les mots, expressions ou tout simplement des phrases intéressantes que j’ai aimées). Je lis et en même temps, je prends des notes, je passe mon temps à fouiller dans le dictionnaire. Donc, pour moi lire deux livres par semaine, ce n'est pas réaliste.

Intervieweuse: Oui, premier point c'est la lecture, et le deuxième?

Mariia: Lire beaucoup, travailler beaucoup. Je veux dire qu’il faut travailler sur ses fautes.

Intervieweuse: Se perfectionner?

Mariia: Oui. Et reconnaître ses fautes. Lorsque l'éditeur rend au traducteur son texte corrigé tout prêt, ce n'est pas possible qu'on n'y ait pas trouvé de fautes du tout. Il y en aura toujours. Et parmi les traducteurs il y a ceux qui ne veulent pas les reconnaître, ils disent que ce n'est pas vrai. A mon avis, il faut savoir reconnaître quand on s'est trompé. Et ne jamais craindre ces erreurs, mais en tirer une leçon. Moi, je note toutes mes fautes assez scrupuleusement. Je note toutes mes fautes. J'ai appris chacune de mes fautes presque par cœur. Comme ça je peux être sûre de ne jamais en faire deux fois.

Intervieweuse: pour ne pas marcher sur le même râteau deux fois, comme on dit?

Mariia: Oui, c'est très important. Ses fautes, on ne dit pas « je m'en fous », mais on travaille dessus. Et c'est le seul chemin pour arriver à parler des traductions de qualité.

Intervieweuse: A ces deux points de la recette, vous y rajoutez encore qqch?

Mariia: Il y a autre chose qui est important ... Je pense qu'il est aussi important de travailler tout le temps la langue dans laquelle vous traduisez. Cela peut être ukrainien ou russe. Pour moi, maintenant c'est l'ukrainien. Le russe n'est pas dans mes priorités. Et je pense qu'on ne peut jamais dire qu'on connais bien une langue. En fait, cela ne correspond pas du tout à la réalité. Presque tous les jours je trouve des mots que je ne connaissais pas. Je trouve que c'est normal.

Intervieweuse: Oui. Bien sûr. Des néologismes qui apparaissent à chaque moment dans le monde d'aujourd'hui, le monde des technologies.

Mariia: Eh bien oui. La langue développe toujours. On doit comprendre cela. Il faut essayer de suivre le pas. Donc, je peux dire que c’est un travail permanent avec la langue. Et on ne pourra jamais dire qu'on connaît bien la langue. Parce que savoir une langue d'un bout à l'autre, je pense que ce n'est pas possible. Et même les meilleurs professeurs de langue ukrainienne ne peuvent pas embrasser tout.

Intervieweuse: Et par rapport à vos projets, avez-vous un auteur que vous voudriez traduire ?

Mariia: Eh bien, vous savez, j'ai arrêté de rêver parce que, malheureusement, les rêves ne se réalisent pas toujours. Je peux dire que j'étais très déçue quand ... il y a environ cinq ans ... je rêvais de traduire Milan Kundera qui est écrivain assez connu.

Intervieweuse: C'est un écrivain étranger?

Mariia: Oui. Il a écrit en français, mais par sa naissance, si je ne me trompe pas, il est tchèque. Mais il a écrit en français la plus grande partie de sa vie.

Intervieweuse: C'est intéressant.

Mariia: Eh bien oui. En fait, il est allé vivre en France. Voilà pourquoi la plupart de ses œuvres sont écrites en français. Il est considéré comme un écrivain français. J'ai donc longtemps rêvé de traduire Milan Kundera, mais l'année dernière ... c'était (il faut le dire au passé) en 2018 ... j'ai trouvé sur les étagères d'une librairie que les œuvres de Milan Kundera avaient déjà été traduites par Leonid Kononovich.

Intervieweuse: Dites donc!

Mariia: Oui, c'était ce "géant" que j'admire, que j'adore. Mais malheureusement, c'était un peu dommage, parce que c'était mon rêve à vrai dire ...

Intervieweuse: Même les "géants", les modèles à suivre deviennent parfois concurrents?

Mariia: Oui. Et ce sont tous des concurrents, malheureusement. Hélas, on doit traduire et avoir pour concurrents ceux qui ont 50, 60,70 ans d'expérience.

Intervieweuse: Et c'est difficile de rivaliser avec?

Mariia: Oui. Il est très difficile de rivaliser avec ceux pour qui la traduction est devenue le sens de la vie.

Intervieweuse: Bien sûr, peut-être que les éditeurs s'adressent d'abord à ceux qui ont de l'expérience?

Mariia: Oui. C'est vrai. Vous avez raison. Les éditeurs ont tendance à le faire – à coopérer avec des personnes qu'on connaît. Par conséquent, on doit y faire face. Et cette compétition n'est pas en ma faveur.

Intervieweuse: Et quels livres avez-vous déjà traduits ?

Mariia: D'abord, je ne traduisais qu’en russe, puisque je croyais probablement que c'était ça, ma langue maternelle. Ça a changé. Tout peut changer dans la vie. Maintenant, je considère l’ukrainien comme ma langue première. Pour ce qui est de mes traductions: au début j'avais traduit en russe ... c’était des romans d'amour, même si je n'en suis pas très fière.

Intervieweuse: C’est-à-dire que vous avez traduit ce qui était à la mode, ce qu'on demandait au marché?

Mariia: Oui. Vous avez absolument raison. C'était qqch qui était à la mode. Mais, malheureusement, je ne peux pas dire que j'en suis fière.

Intervieweuse: Voulez-vous bien citer quelques titres ...

Mariia: Oui, bien sûr. Je peux dire que c’était une écrivaine française populaire au nom si peu gracieux – Marie-Bernadette Dupuy. En réalité, le nom est très beau, pourtant les livres sont comme ça ... A mon avis il s'agit des petits romans d’amour pour femmes: «Le Comte», «Le Château», etc.

Intervieweuse: C'est-à-dire écrits à la chaîne?

Mariia: Oui, autant que je sache, elle en sort deux ou trois par mois.

Intervieweuse: Incroyable!

Mariia: Oui. Elle est beaucoup lue en France, à l'étranger. Mais, malheureusement, la qualité des œuvres est plutôt moyenne et je ne veux plus prendre des choses pareilles et je ne les prends pas. J'ai également traduit Diane Ducret, une écrivaine française. Diane Ducret a écrit un roman qui a été traduit en russe et publié sous le titre "Les Oubliés". C'est mieux comme littérature, d'une qualité meilleure. Mais tout cela concerne ma période russe. Si on passe à ma période ukrainienne, on y trouvera des auteurs qui sont déjà plus connus, comme Jules Verne. J'ai traduit son roman-dystopie titré "Paris au vingtième siècle".

Intervieweuse: Chez Jules Verne, bien sûr, le lexique qu'il utilise, c'est assez technique.

Mariia: Oui, il y a beaucoup d'expressions techniques de toutes sortes. Il y a beaucoup de détails.

Intervieweuse: Eh bien, oui. Il utilise plutôt un lexique scientifique, autant que je sache.

Mariia: Oui. C'est de la science fiction. Je dois dire que ce n'est pas vraiment ce que j'aime. Ce n'est pas exactement ce que j'ai rêvé de traduire, mais c'est de la bonne qualité. Avec un nom si connu que le sien, je n'ai pas pu dire non. A part Jules Verne, il y a un roman de la célèbre écrivaine française Paule Constant, il sortira aux éditions "Fabula" (une maison d'édition à Kharkiv). En 1998, elle a reçu le prix Goncourt pour son livre intitulé "Confidence pour confidence".

Intervieweuse: Et vous avez traduit ce livre?

Mariia: Oui. Je l'ai traduit. Pour le moment c'est mon dernier livre traduit. Et je suis très dans l'attente de sa sortie. Mais cela ne dépend plus de moi.

Intervieweuse: C'est l'éditeur?

Mariia: Oui. On réfléchit sur la conception de la couverture et il y a autres choses.

Intervieweuse: Et avec quelles maisons d'édition vous avez travaillé?

Mariia: En fait, j'ai traduit Paule Constant pour «Fabula», je l'ai déjà dit. Et les romans de Jules Verne – c'était pour les éditions Zhoupansky. Oui, ça s'appelle comme ça – les éditions Zhoupansky, c’est à Kyiv. Et il y a aussi qqch dont je ne peux pas ne pas parler: il y a eu quelques livres d'un philosophe français assez connu qui s'appelle Oscar Brenifier. C'est un philosophe, un philosophe praticien. Quelqu'un qui est, je n'ai pas peur de ce grand mot, mondialement connu. J'ai même eu l'occasion de le rencontrer et d'interpréter un peu ce qu'il disait.

Intervieweuse: Ah!

Mariia: Oui. Il est très cool. Je suis très heureuse d'avoir eu cette occasion de le rencontrer à Kyiv lors du Salon du livre à Arsenal et d’interpréter un peu pour lui.

Intervieweuse: Directement pour lui?

Mariia: Oui. Il avait fait une intervention, et moi j'avais à traduire pour le public. Et c'était moi qui ai traduit ses brochures dans la maison d'édition "Duh et Litera" (L’esprit et la lettre). Il s'agit de petits ouvrages philosophiques pour adolescents qui sortent avec les titres "Le bonheur, c'est quoi?", "Les sentiments, c'est quoi?". Récemment j’ai traduit un autre livre du même auteur: "Le bonheur, c'est quoi?" et "Vivre ensemble, c'est quoi?". C’est-à-dire qu’il s’agit d’une série qui aide les enfants à répondre à cette question "c'est quoi ?".

Intervieweuse: Vous voyez, c'est comme une jonction des cultures, quelque chose de la culture française a été introduit dans notre culture

Mariia: Justement, la traduction EST une jonction des cultures. Je pense que la traduction c'est l'exemple le plus évident de la jonction des cultures, il n'y a rien qui puisse relier deux cultures complètement différentes et deux langues complètement différentes aussi bien que la traduction. Donc, en fait, c'est le chaînon qui opère cette jonction. Je suis heureuse que les lecteurs ukrainiens aient la possibilité de lire Oscar Brenifier. C'est vraiment le top, car il est connu dans le monde entier et tout le monde essaie de l'inviter chez soi. Tout le monde est très content quand il accepte l'invitation. C'est quelqu'un d'extraordinaire.

Intervieweuse: Passons peut-être à autre chose, la période où vous étiez étudiante, l'université, les études. C'est intéressant dans le sens de partage d'expérience avec les étudiants d'aujourd'hui.

Mariia: Bien sûr. Quoique c'est un passé assez récent pour moi. C'était il y a trois ans.

Intervieweuse: Alors, comment s'est-il fait que vous avez appris le français?

Mariia: Eh bien, je dois dire que 'à l'école où j'étudiais à Odessa, c’était l'école spécialisée №117. Et là on n'avait pas de français comme matière enseignée. J'apprenais l'anglais et l'allemand. Comme la classe était divisée en deux groupes – sciences humaines pour les uns, et sciences exactes pour les autres, ceux qui étaient en sciences humaines apprenaient l'allemand. Moi, j'étais en sciences humaines bien entendu. Mon profil c'était les sciences humaines et ça n'a pas changé depuis. Et j'en suis fière.

Intervieweuse: Cela veut dire que vous parlez aussi allemand?

Mariia: Oui. Je parle anglais, allemand. Mais en allemand ... je ne peux pas dire que ces leçons facultatives au rythme de quelques heures par semaine m'ont permis d'apprendre la langue. C’est-à-dire qu'en allemand j'ai le niveau A2 ou peut-être B1.

Intervieweuse: Et c'est déjà bien.

Mariia: Et le français, on ne l'enseignait pas à l'école. J'ai commencé à apprendre le français quand j'étais en dixième ou en neuvième (système ukrainien. - note de traducteur).

Intervieweuse: Par simple intérêt ?

Mariia: Oui. Juste par simple intérêt. A cette époque, je ne pensais pas encore à entrer à la faculté de philologie romane et germanique. Je n'y pensais pas. Mais je me souviens du moment précis quand ça a commencé… J'ai entendu par hasard à la radio Mylène Farmer, cette chanteuse française. Je l'ai écouté et j'ai aimé, et j’ai juste décidé d'aller chercher sur Internet pour comprendre ce qu’elle chante, parce que moi, je ne comprenais pas un seul mot. Bien entendu, tout de suite j'ai trouvé les paroles des chansons, j'ai trouvé la traduction en russe. Mais j'ai senti que je voulais la comprendre encore mieux. J'ai senti que cette traduction ne traduisait pas ce jeu de mots, car j'ai vu que dans le texte de la traduction en russe (qui était d'ailleurs très bonne), je tombais tout le temps sur cette phrase qui disait que c'est un jeu de mots ici et là...

Intervieweuse: Et vous aviez cherché à comprendre ce que c'était ce jeu de mots?

Mariia: Oui. J'ai réalisé que le sens général, je l'avais compris, mais je voulais ressentir bien ce jeu de mots. Et voilà pourquoi j'avais parcouru Internet à la recherche des guides, des leçons en ligne ... Au début c'était pas plus compliqué que ça. Puis j’ai demandé à mes parents de me payer les cours de français à ce Centre de langue et de culture française – à l’Alliance Française. J'ai juste rejoint un groupe de débutants du niveau A1, c'est là que j'ai appris mes premiers mots, mes premières phrases. J’étais en 9-10ème. Et en 11ème, j'ai décidé de passer le ZNO (équivalent de BAC français. - note de traducteur) et d'entrer en compétition avec ceux qui apprennent le français dès l'âge de 6 ou 7 ans.

Intervieweuse: Vous avez donc décidé de passer le test de français dans le cadre du ZNO?

Mariia: Oui. Et avec le français, il y avait la langue et littérature ukrainienne, évidemment, et l’histoire de l’Ukraine. C'est ce qui était nécessaire pour entrer à la faculté de la philologie romane et germanique, à la chaire de philologie française.

Intervieweuse: Et pourquoi vous avez choisi le département de français?

Mariia: Parce que je n'ai jamais aimé l'anglais et que j'aimais beaucoup le français. Quand je dis le français, pour moi ce n'est pas que la langue, mais aussi la culture française en général. C'est la littérature, le cinéma, la musique. En général, c'est tout ce qui est associé à la France: l’histoire de la France… j’ai été très attirée par ça. A tel point que je ne me posais même pas la question quelle langue choisir.

Intervieweuse: Cette interview sera lue par des jeunes gens, par des étudiants qui apprennent le français, ceux de la faculté, si vous deviez leur donner un conseil, ce serait quoi ?

Mariia: Eh bien, j'aimerais leur dire de ne pas rêver de devenir traducteurs, car s'ils vont le faire, pour moi ça fait des concurrents en plus, et moi j'en ai déjà assez comme ça. Et puis, la traduction, c'est trop difficile. Aussi, il faut être prêt, car la traduction, ce n'est pas ici qu'on gagne des fortunes, malheureusement. C'est-à-dire que lorsqu'on se met à une traduction, il faut se rendre bien compte qu'on gagnera assez pour vivre, mais il ne faut pas espérer des montages d'or. Et j'espère que la grande majorité des étudiants qui sont maintenant à la faculté, qu'ils deviendront plutôt enseignants. Ceux qui veulent devenir enseignants, je leur souhaite d'être patients, de puiser quelque part de l'inspiration, parce qu'être enseignant, il faut être fait pour ça, c'est une vocation, et j'ai beaucoup de respect et d'admiration envers des gens qui le voient comme ça. Et je leur souhaite de persévérer sur leur chemin, car les enseignants ne sont pas assez bien rémunérés pour le moment.

Intervieweuse: Merci beaucoup d'avoir participé à notre projet.

Mariia: Merci à vous. Ça fait plaisir. Merci pour votre invitation.

Traduit en français par : Anastasia Chvedenko